Le Reniement par Monique Romagny-Vial

L’écriture est brillante. Percutante. Ponctuée de croquis pleins d’humour. Passionnée. Elle tient parfois du poème. Elle est souvent construite comme un dialogue imaginaire avec un lecteur imaginaire. Rythme jazzy dans l’ensemble. Richesse de vocabulaire. Formules frappantes. Audaces verbales. On est entrainé par le rythme des phrases, la force des mots de Monique Romagny-Vial.

Le reniement est le dernier livre de cette autrice qui en a publiés plusieurs, dont Chronique d’une parvenue et La Normalienne. Plus, de nombreuses nouvelles, parues en revues ou en recueils collectifs.

Souvent très romanesque et profondément dépaysant, Le reniement n’est pas un roman. Mais le récit d’un événement vécu. La vie en effet n’est-elle pas un roman ? Et même un roman particulièrement sujet à péripéties et rebonds ?

Ce récit a pour point de départ la personne d’Henri Vial (1944-1996), frère cadet de Monique Romagny-Vial... grand voyageur juste avant, et bien après, les années 68... incorrigible migrant, animé par l’espoir d’un ailleurs plus vivable... fasciné par les luttes de libération, notamment en Bolivie... mais finissant à cinquante-deux ans, et à Charleston, en résident américain réglo.
Un mot de plus sur Henri Vial.
Ou plutôt deux.

Pédé,
se disait-il. Homo, corrigeait sa sœur politiquement correcte quand, par exceptionnel, elle enfreignait le non-dit.

Si je souligne ce « détail » c’est qu’il se trouve, sous la plume de Monique Romagny-Vial, constituer le nœud, le cœur, le centre de Le reniement.

La grande originalité de ce livre est en effet que l’accent n’y est pas mis sur l’exotisme beatnik. Mais sur l’impossibilité de l’homosexualité dans le milieu où est né Henri.
Cette famille, en terre de houillères et de paysans, où les enfants sont nourris de religion par des parents très chrétiens, soumis eux-mêmes à ce qu’on nommerait aujourd’hui « le système ». Et ceci, même quand ces enfants... une sœur et son frère de six plus jeune qu’elle... sont de bons élèves, tournés intellos.

Ce livre, Le reniement, est l’œuvre, voire la voix, de cette sœur. Voix qui... tressée et enlacée au récit qu’elle fait sur son frère... va prendre du recul avec ce frère chéri, le jour, la nuit plutôt... où... elle qui se croyait et se voulait ouverte, progressive... s’est découverte tout à la fois sœur d’homo, et plus que profondément choquée par cette homosexualité, passée brusquement de théorique à pratique concrète.
On la sent blessée, offensée dans sa chair, et curieuse, fascinée, déroutée. Aspirant à comprendre, elle évoque l’expérience d’une de ses amies découvrant l’homosexualité de son fils. D’une autre confrontée à celle de son propre mari. Elle compare leurs chocs au sien.
Et, plus avant dans le livre, interrogera Genet, Gide, Cocteau, Foucault, Proust, Édouard Louis, Guy Hocquenghem...

Aucun homo ne m’a jamais dérangée, mon frère m’a révulsée.

Bref retour sur la vie d’Henri qui, en grandissant derrière ses B.A. et son air d’enfant sage, s’était métamorphosé en Henri furioso.
Il entre au séminaire et en sort après quelques ruades dans les brancards. Philosophie à la faculté de Lyon. Puis cinq ans de voyages, notamment en Inde où il entreprend des études d’histoire des religions. Du 1er janvier au 28 février 1968, il est emprisonné en Bolivie. De retour en France à la fin de son sursit, il refuse, en juin 1968, de porter les armes, et renvoie son livret militaire. D’où une condamnation à dix mois de détention dont il sera libéré avant terme. Il part alors pour les States.

À cette occasion, méritent d’être soulignés, à plusieurs tournants du récit, quelques tableaux très forts sur l’exotisme de fureur et violence des bas-fonds de Greenwich Village, les désagréments ordinaires du globe-trotter, la clochardisation.
Il faudrait tout citer. Mais il vaut mieux lire.

 En 1971, il a vingt-sept ans et passe Noël dans sa famille. Il est accompagné d’un copain, Wilson, petite frappe au visage poupin et aux bouderies d’enfant gâté... un David version Donatello afro-américain. 0n leur prépare deux lits dans la chambre des garçons. Normal. Rien à signaler, sinon Wilson dévalant la prairie enneigée en poussant de petits cris follets.

 Peu après, Monique Romagny-Vial les accueille dans sa banlieue parisienne de l’époque. Et c’est là, chez elle, qu’une nuit se produit l’intolérable révélation... tout un charivari certes retenu mais plus qu’explicite.

Cinq ans plus tard, c’est elle qui rend visite à son frère, à New York. Quitté par Wilson, mort depuis du sida, Henri vit désormais en couple avec Géronimo, grand, costaud, de beaux traits de black intello.

Dans votre studio, meublé à l’encan, je vous observe vivre, écrit-elle, distante, ironique, machiste au féminin... Face à votre couple une espèce d’irritation permanente m’oppresse, mauvaise humeur rentrée, déplaisir en ébullition, sous ma chape cadenassée... L’homosexualité masculine me nie dans mon corps féminin.
Elle écrit se débattre en silence contre sa déraison. Ou ses ambivalences ? Ses contradictions ? Elle parle aussi d’endosser votre homosexualité. Se sentirait-elle donc disparaître à elle-même ? L’expérience, en tout cas, paraît tout à la fois terrible et fondamentale. Comme l’est celle d’une trahison ? Ou la sensation de n’être pas vue par ceux qui comptent pour vous ? Ou autre chose que je ne sais pas ? Qui, peut-être, échappe à Monique Romagny-Vial elle-même ? D’où tous ses pourquoi... ses hypothèses... ses dialogues avec elle-même... ses tentatives d’expliquer l’inexplicable... ses questions sur les homos masculins qui refusent la femme comme être de sexe mais parlent au féminin des beaux adolescents qu’ils fréquentent ?... ses controverses sur les origines de l’homosexualité masculine... sur leur soi-disant suprématie créative... et l’inconscient... l’inné... le vrai... le faux semblant ?

Ce qui nous ramène au titre du livre, Le reniement, et à cette confidence écrite par Henri, J’ai probablement fui aux antipodes à cause de la tare.
Pour lui aussi, l’homosexualité aurait donc été vécue comme une « tare » ?

Henri, otage de son désir d’être accepté
, précise sa sœur. Il ne peut faire face à la condamnation du groupe.
Osant les mots de vérité, les mots crus que son frère ne s’est jamais autorisés en famille, elle y va donc et tombe le masque, Hélas mon frère trop tôt disparu !... Aujourd’hui c’est moi qui te dévoile Un coming out qui est à la fois tien et mien.

Le reniement 
alors... un double coming out ?

Une troublante histoire de sœur et de frère, en tout cas.

Même si je suis plus sensible aux mots par lesquels Monique Romagny-Vial, s’adressant à son frère mort, semble se réconcilier avec les mystères de l’amour et les formes qu’il lui plaît de prendre... Génonimo... ton époux et ta femme... Ton père, ta mère, ton âme-sœur.... Qui t’a accompagné jusqu’à la fin (...) agonisant que son corps martyrisé rendait insupportable, le persiflage à fleur de peau et la colère cruelle... Géronimo a souffert en ta chair ravagée que tu hurlais pourrie, empuantie, cadavre.
Dans ta chambre d’hôpital devenue chambre mortuaire, Géronimo a sangloté sur mon épaule.

Le Reniement par Monique Romagny-Vial - Atelier d’Édition Bordematin (AEB) - avril 2021 - 164 p. -  15 €00


Béatrice Nodé-Langlois (24/5/2021)


 

Genève, une place financière

La journaliste et historienne Joëlle Kuntz s’est intéressée à la place financière qu’est devenue Genève à partir du 18e siècle. Histoire qui a commencé bien avant grâce à la situation géographique de la ville et des foires régulières qui s’y sont déroulées. Par la suite, Genève doit à la France d’être devenue une place financière.

Sous Louis XIV, de nombreux négociants, souvent issus du refuge protestant, se disent « banquiers » et s’engagent financièrement dans la Guerre de successions d’Espagne puis dans celle de la Succession d’Autriche. Ces prêts, comme celui à la reine Marie-Thérèse, rapportent des intérêts de l’ordre des 4 %. Puis sous Louis XVI, se crée une nouvelle forme de rente viagère, basée sur l’espérance de vie des Demoiselles Genevoises, qui sont trente dames des meilleures familles. A cette période, un banquier genevois, Necker, devient le trésorier du royaume.

Dans la période qui suit la Révolution française, Mme Kuntz a pu se pencher sur le journal privé du premier vraiment « banquier » de Genève, Jacques Marie Jean Mirabaud. Il y détaille les activités financières de la ville de 1789 à 1829. On y trouve les jeunes négociants de l’époque dont la plupart des noms sont toujours présents dans ceux des banques privées actuelles. Par la suite, ces établissements récents, vont devoir s’adapter à la présence de filiales de nouvelles banques créées en Suisse, à Zurich en particulier, ou venant de France, avec d’autres systèmes financiers.

Cette histoire se prolonge donc jusqu’à nos jours, avec les vicissitudes qui ont ébranlé ou renforcé la place financière genevoise. Elle doit au génie propre de ses opérateurs d’avoir tourné en avantages les circonstances aléatoires de l’histoire. Une place est spécialement dédiée à la période des fonds juifs en déshérence qui a profondément ébranlé toute la politique financière suisse et genevoise en particulier. Cependant, Genève doit à l’Europe d’être restée forte et à la Suisse de s’être encore adaptée et renforcée. La plus petite des places financières internationales compte parmi les plus anciennes, c’est-à-dire les plus résistantes.

Le manque de sources n’a pas permis à l’historienne une approche systématique de ce développement. Dès lors, le livre, très didactique en soi, se concentre régulièrement sur des détails qui reflètent bien la situation générale et l’évolution. Il se lit, aussi de ce fait, comme un roman historique, dans un style fluide qui retient l’attention à tout moment.

Il met en exergue les à-côtés de l’Histoire, où l’argent a joué et joue toujours un rôle primordial, qu’on le veuille ou non. Ainsi, il peut intéresser les économistes et aussi tous ceux qui s’intéressent au rôle que la place financière a joué et joue encore – actuellement avec les importantes maisons de courtage et de négoce des matières premières – dans l’histoire de la France et de l’Europe en général. Le livre contient aussi une importante bibliographie des sources citées.

Joelle Kuntz est une journaliste de politique internationale rapatriée temporairement dans les affaires suisses ou genevoises. Elle est notamment l’auteure d’une Histoire suisse en un clin d’œil, (Zoé 2006), d’une tentative d’explication de la projection mondiale de Genève, Genève, histoire d’une vocation internationale, (Zoé 2010), d’un essai, La Suisse ou le génie de la dépendance (Zoé 2016), ou, plus récemment, d’un ouvrage sur l’histoire des bâtiments de la Genève internationale, Genève, cent ans d’architecture (Slatkine 2017).  

Genève – une place financière (182 p.), Ed. Slatkine, Genève, 2019   Séverine et Raymond Benoit (20/12/2019)

SIte

 

87ème Après-midi du Livre

Sous le haut patronage de Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République, de Monsieur Philippe Goujon, maire du XVème arrondissement et de Monsieur Jean Orizet, Président de l’Association des Ecrivains Combattants, le 87ème Après-midi du Livre se tiendra le samedi 4 novembre 2017 de 14 à 19 heures.
Michel Baury, membre de la Critique parisienne, y dédicacera ses ouvrages.
Mairie du XVème arrondissement, 31 rue Péclet 75015.
Métro : Vaugirard.
Bus 39,70,80,88

SIte


Quelques brèves de Jeanine Rivais

Vous aimez les "pavés" autour de 1000 pages (!) : Commencez par la trilogie de Dan Franck, "Le temps des bohèmes"

Dans la première partie intitulée "Bohêmes", vous ferez connaissance avec les aventuriers de l'Art moderne  (artistes, mécènes, marchands d'art, etc. Gertrude et Léo Stein, notamment, allant de mansarde en galetas à la rencontre de ceux que personne ne connaît encore et qui vivent dans la plus noire misère) ; aventuriers qui ont illustré le début du XXe siècle. Vous revivrez leur importance grandissante dans la société des amateurs d'art, leurs rivalités, leurs amours, leurs passions, la façon dont certains ont su vaincre les difficultés (Picasso surtout), d'autres qui en ont été incapables et ont capitulé (comme Modigliani…) ! Vous verrez changer les mentalités,  naître des courants artistiques. Vous plongerez dans tant et tant d'hommages à Montmartre, la Butte… à travers des anecdotes, des histoires vraies ou romancées…
Vous en viendrez à la deuxième partie : "Libertad !". Et là, vous rencontrerez surtout des écrivains : Malraux, Saint-Exupéry, Dos Passos, Prévert, Hemingway, Orwell, Dali… Un monde fascinant d'illusions et d'inquiétudes à cause de la montée du Fascisme, du Communisme,  et l'inévitable  Guerre d’Espagne. Vous revivrez des amours interchangeables, tout cela sous l'œil de Franck Capra qui immortalisa toute cette vie grâce à ses… immortelles photographies.
Enfin, vous parviendrez à la troisième partie : "Minuit". L'Occupation. Les luttes, les résistances ou au contraire les compromissions ! Sartre et Beauvoir, Camus, René Char, Vercors, Aragon et Elsa, Prévert, Desnos, Saint-Exupéry, Drieu La Rochelle, Picasso, Prévert, Cocteau etc. Tant d’autres : La France qui résiste/écrit, résiste/peint, résiste/filme, résiste/publie dans la clandestinité… La débandade. L'exode. Les trains, les gares emmenant vers la déportation et la mort… "Nuit et brouillard". Parfois l'exil comme "meilleure" solution.
Cet ouvrage qui, à l'origine, était publié en trois parties, est un récit, une sorte de fresque documentaire faisant revivre des vies légendaires sans être jamais rébarbative. A destination de tous les amoureux de la culture.
Dan Franck a publié une trentaine d’ouvrages et écrit une vingtaine de scénarios de films. Sa trilogie des artistes est ici réunie pour la première fois dans une nouvelle édition revue et corrigée.
"Le temps des bohèmes" a été porté à l’écran, dans une série de six épisodes mêlant brillamment archives et animations, sous le titre "Les aventuriers de l’art moderne".
"Le temps des bohèmes" de Dan Franck - Editions Grasset - 1212 p. - 29 €

"Un président ne devrait pas dire ça" de Gérard Davet et Fabrice Lhomme

En ces temps politiques mouvementés, vous ne verrez que des coulisses ! Des révélations d'une naïveté frôlant la bêtise ; des critiques inattendues ; des polémiques évoquées… Des conditions journalistiques aberrantes acceptées (relecture refusée)… Des amitiés bousculées par des divulgations assassines… Un livre qui donne envie de revenir à l'extrait du poème placé en exergue :
"Hélas ! Combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte"
.                                    Victor Hugo.

"Un président ne devrait pas dire ça" de Gérard Davet et Fabrice Lhomme - Editions Stock - 661 p. - 24,50 €

Et puis, si ce n'est déjà fait, vous pouvez lire : "Et quelquefois j'ai comme une grande idée" de Ken Kasey Voir  critique N° 75 de juin 2016 de la Revue de la Critique Parisienne.

Editions Monsieur Toussaint Louverture. 800 p. 24,50 €

 

 

 

Vous aimez, au contraire, les livres courts, qui vous entraîneront dans leurs aventures, vous tournebouleront les sangs. Alors, lisez cette découverte de hasard : "Pas trop saignant" de Guillaume Siaudeau
La liberté ! Depuis toujours Joe en rêve ! Surtout depuis qu'il travaille à l'abattoir et que matin après matin il doit subir le lamentable cri des vaches au moment où on leur donne le coup de grâce !
Alors, fuir, ne serait-ce pas trouver la liberté, quitter ce lieu de cauchemar, se sentir vivre enfin ?
Aussitôt pensé, aussitôt réalisé ! Juste le temps de voler une bétaillère, d'embarquer dedans six vaches qui auraient dû finir dans des assiettes ; de passer chercher Sam, un enfant "placé" et maltraité dont il est devenu le meilleur ami, et en route vers les pentes montueuses de la région ! Le bonheur en somme ! Mais le prix du bonheur n'est-il pas toujours élevé ? L'alerte est donnée. La promenade se transforme en chasse à l'homme !
Un petit roman grinçant, lucide, un peu nanar, chargé d'humour noir : où les "gens bien" sont méprisables et détestables ; où le fuyard et les comparses qui prennent des risques pour lui, attirent la sympathie. Un petit livre dont la rémanence subsiste longtemps après le mot "fin".

"Pas trop saignant" de Guillaume Siaudeau - Editions  Alma -  133 p. - 16 €  

Enfin, si vous aimez les livres "de taille moyenne", lisez : "Jeune fille à l'ouvrage" de Yoko  Ogawa
Un recueil de dix nouvelles dont le titre de la première est celui du livre éponyme.
Tour à tour, l'auteure entraîne le lecteur dans l'étrangeté de son monde apparemment lisse, mais où apparaissent des fêlures ; un monde ambigu, où des mystères ne sont pas forcément élucidés.
Un mélange de réalité, où un jeune homme venu voir sa mère hospitalisée, reconnaît la visiteuse déjà là, à sa façon de broder. Où une date anniversaire fait revivre le souvenir d'une personne aimée, chanteuse d'opéra, dans "Aria". Où se mêlent orgueil, déception et souvenirs à cause d'un album photos retrouvé, dans "Le concours de beauté"…
Un mélange de fiction, aussi,  dans "Ce qui brûle au fond de la forêt" où le temps n'existe plus. Pour vivre ainsi hors du temps, il suffit  de se faire retirer la glande-ressort de l'oreille ; mais ceci est le privilège des pensionnaires d'un certain centre d'hébergement… Où le temps est oublié par une vieille femme dont les "aides" débarrassent sa garde-robe si importante qu'elle a envahi toute la maison,  dans "Les morceaux de cake"… Où ce temps ne s'écoule pas tranquillement mais subit des avatars qui ne s'effaceront jamais dans "L'univers de nettoyage de la maison".
Un mélange d'insolite, enfin, de mystère, voire d'onirisme qui se mêlent, interfèrent avec la réalité. Que peut être cette glande, à quoi sert-elle ? Comment préserver des souvenirs ? Comment faire pour que le temps qui polit les blessures puisse les effacer complètement ? Etc.
Un ouvrage où chaque nouvelle éveille de nouvelles réflexions. Des thèmes maniés avec talent. Une écriture fine, pleine de poésie et de raffinement, avec des images précises, sans superflu.
L'auteure a reçu de multiples prix au Japon.
"Jeune fille à l'ouvrage" de Yoko  Ogawa - Editions Actes Sud - 224 p. -  20 €  

"La mémoire des embruns" de Karen Viggers, prix des lecteurs 2016.
Mary est âgée, sa santé se dégrade. Contre l'avis de sa fille, égoïste et mal aimable, avec qui elle est perpétuellement en conflit et qui voudrait l'envoyer en maison de retraite, elle décide de passer ses derniers jours à Bruny, île de Tasmanie, où elle a vécu ses plus belles années auprès de son mari, à l'époque gardien du phare où leurs enfants ont grandi. Elle part donc en cachette, après avoir réglé tous les détails de son futur séjour. Mais Tom, le seul de ses enfants à comprendre ses désirs, devine immédiatement où elle est partie et va la rejoindre. Lui-même, mal dans sa peau, tente de se réadapter à la vie "normale" après avoir passé des mois sur une station scientifique en Antarctique. Aidée par son fils, et par le gardien de l'île, un homme solitaire depuis,- lui aussi-  son retour d'Antarctique et le divorce dû à l'absence, et qui, contre son gré, vient chaque jour la visiter, Mary se retrouve sur les lieux de son ancienne vie pour tenter de faire le point sur son passé.
Les retrouvailles avec cette terre qu'elle a tant aimée prennent des allures de pèlerinage. Revivant ses souvenirs et ses regrets, ses joies et ses peines, elle veut trouver la paix avant de mourir. Mais le secret qui l'a hantée durant des décennies menace d'être révélé et de la tuer avant l'heure.
Là, toute seule dans un chalet, elle va se replonger dans plus de soixante-dix ans de réminiscences et de non-dits. Mais peu à peu, son corps s'affaiblit. Jusqu'au jour où…
Et Tom apprendra le secret que toute sa vie, elle a si jalousement gardé.
Par ses descriptions extraordinaires de magnifiques paysages, par ses personnages extrêmement attachants, ce livre est un véritable appel au voyage, à la découverte. Le lecteur est emmené dans ces contrées lointaines, hostiles et déconcertantes, dans ce mystérieux phare, avec la mer en fond sonore, autour duquel la nature sauvage et brutale est omniprésente et où le vent semble être un personnage à l'égal des êtres qui luttent contre lui, d'où le bien-être éprouvé  quand il se calme enfin.
'est un livre émouvant, sensible. Le style est simple, plein de sincérité et de justesse. Les personnages sont profondément humains, à la fois fragiles et forts. Une saga familiale passionnante et riche.

"La mémoire des embruns" de Karen Viggers - Le livre de poche -  571 p. - 8,30 €
11/5/17


Pierre Boulez - Entretiens avec Michel Archimbaud

Pierre Boulez nous quittait il y un an. Cette figure centrale de la musique contemporaine d’après la deuxième Guerre mondiale a déchaîné enthousiasmes, incompréhensions et polémiques. L’intérêt de ce petit ouvrage est que les entretiens ont été menés par un auteur mélomane, donc sans jargon spécialisé.
S’il n’apprendra rien aux familiers du compositeur qui a beaucoup écrit et a été maintes fois interviewé, il devrait intéresser les plus jeunes dressant in fine le portrait d’un homme qui avait « soif d’idéal » au travers des principaux chapitres : son parcours, le compositeur, le chef d’orchestre, l’opéra, l’enseignement, ses rapports avec la peinture et la littérature notamment.
Un extrait à propos de la musique contemporaine: "Il y a parfois des efforts à faire et trop de gens ne font pas assez d'effort en matière d'art, soit par paresse, soit parce qu'ils sont trop attachés aux formes du passé. Ils ont arrêté d'évoluer et c'est regrettable. La musique n'est donc pas la seule en cause, mais aussi ceux qui l'écoutent."

Pierre Boulez - Entretiens avec Michel Archambaud - Folio essais - 2016 - 220 p. - 7,10 € - Extraits

Thierry Vagne 11/01/17

 

Les cheveux de Lucrèce - Étienne Barilier
Un « petit livre » d’Étienne Barilier, petit par sa taille, mais pas par la force de l’intrigue ni celle de l’impression qu’il laisse au lecteur.
Lucrezia Borgia était-elle l’affreuse créature que l’on a toujours décrit ? La jeune Lucrezia du roman, si elle a les mêmes blonds cheveux que ceux de son aînée (gardés précieusement à la Biblioteca Ambrosiana de Milan) est, elle, un genre de madone. Clément, jeune homme aussi réservé que son quasi-jumeau (Arnaud - lui si débrouillard dans toutes les choses de la vie) en tombera éperdument amoureux. On ne dévoilera pas l’intrigue qui se situe en marge des métiers d’art en Italie, sorte de machination du Mal envers le Beau et le Pur. On sort de la lecture comme sonné devant tout ce sordide si élégamment narré, étayé comme d’habitude par une grande culture.

Les cheveux de Lucrèce - Étienne Barilier - Buchet Chastel - 2015 - 240 p., 15,00 €

Thierry Vagne - 23/10/15


Pourquoi Oradour-sur-Glane : mystères et falsifications autour d’un crime de guerre
Le 7 décembre 2014, à la Maison du Limousin de Paris, Michel Baury a présenté devant une salle comble son dernier ouvrage : «Pourquoi Oradour-sur-Glane : mystères et falsifications autour d’un crime de guerre».
Homme aux multiples talents, Michel Baury est ingénieur en génie atomique, il a publié des recueils de poésie, des essais, des traductions du roumain de contes pour enfants, un ouvrage de collecte de mémoire sur l’Occupation, «Augustine-Liberté, coeur de femme au quotidien - 1939-1945 : journal de guerre en Limousin» Editions Thélès, Paris. Michel Baury fut Président de notre association de 1996 à 1999.
Limousin lui-même, M. Baury porte forcément un grand intérêt à tout ce qui touche à la guerre en Limousin et devant le massacre d’Oradour-sur-Glane, l’un des événements les plus mystérieux et les plus sanglants de l’Occupation, il décide de chercher à comprendre ce qui s’est réellement passé le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane.
Scientifique de formation, M. Baury adopte une démarche scientifique rigoureuse et met sa passion à la recherche de la Vérité historique. Il analyse, décortique les témoignages oraux et écrits, ceux déjà disponibles et ceux qu’il suscite et recueille, car il base sa collecte de mémoire sur la diversité des témoignages. Il détaille avec minutie la chronologie des déplacements des protagonistes, résistants français et soldats allemands. Il traque les silences et les «non-dits» qui ont pesé et épaissi les mystères.
Les questions lancinantes tournent en boucle : pourquoi ce village paisible ? Les Allemands auraient-ils confondu Oradour-sur-Glane avec Oradour de Linards, lui au cœur de la Résistance mais aussi de la Milice ...
La décision de faire un exemple a-t-elle été prise après la capture et l’exécution par la Résistance du commandant Kämpfe, «héros» de la division «Das Reich», deux jours avant le massacre ?
Il demeure des incertitudes sur l’ «affaire Kämpfe» et les silences de la Résistance ont permis aux Allemands une falsification de sépulture : au cimetière de Berneuil, en Charente-Maritime une plaque porte le nom de H.Kämpfe, alors qu’il est impossible que sa dépouille repose en ce cimetière.
Laissons Michel Baury conclure : «c’est la pluralité des témoignages qui, par les recoupements possibles qu’elle permet, conduit à une certaine approche de la «vérité historique». C’est le travail qui a été tenté dans la construction de cet essai. Il ne prétend pas avoir conduit à la découverte de cette «vérité historique» ; il se limite à avoir tenté une certaine approche avec toute la rigueur d’un scientifique de formation !» Mais précisons cependant que malgré la gravité du propos, ce travail magistral se lit «comme un roman» grâce au talent de l’auteur.

Monique Venier-Ziesel 12/01/15

 

De la bêtise - Robert Musil

Les éditions Allia ont réédité, en janvier 2012, le texte de la conférence prononcée par Robert Musil à Vienne, le 11 mars 1937, « De la bêtise ».
La bêtise étant universelle et de toutes les époques, j’ai voulu savoir comment Musil la concevait. En fait, il arrive à la conclusion que la bêtise est impossible à définir tant elle jouxte d’autres domaines.
Les proverbes cités par l’écrivain sont frappés au coin du bon sens populaire : « Qui se loue s’emboue » et « Vanité et bêtise poussent sur la même tige », mais la bêtise ne se limite pas à la vanité, elle présente de multiples aspects et, comme le dit Musil, « Nous sommes tous bêtes à l’occasion ». Si nous prenons vraiment conscience des limites de notre savoir et de notre pouvoir, nous arrivons à la modestie, qui est « la meilleure arme contre la bêtise ». Et Musil se demande si nous ne quittons pas là le domaine de la bêtise pour celui de la sagesse « région déshéritée et généralement évitée par les voyageurs ». Site de l'éditeur

Marie-José Sélaudoux (25/6/2013)



Jubilé, de Henri Girard

Quand Angelbert Luppin, cantonnier dans un village normand, prend sa retraite, une fête qui rassemble notables, commerçants et petits employés est donnée à la mairie. Entre de beaux cadeaux utiles (une veste de chasse et un poste de radio à transistors) se faufile un paquet étrange, un paquet qui contient plusieurs livres, sans mot d'accompagnement.
Tout ce roman de 300 pages tourne autour de ces livres et l'enquête que mènera Angelbert pour trouver leur provenance. En chemin cette aventure rapprochera des êtres qui passaient leur vie dans la solitude alors qu’ils étaient faits pour vivre ensemble. Des personnages sortis de la France profonde telle qu’on n’oserait plus l’imaginer, du maire héritier des seigneurs d’autrefois, au curé, sans oublier l’instituteur et le facteur, toute une farandole truculente et colorée, la réminiscence d'une enfance douloureuse, des rencontres qui l'amèneront à découvrir une vérité bien plus vaste que la révélation de l'identité de l'expéditeur, attendent notre héros, et nous font revivre une époque où les choses paraissaient plus simples, du moins à la surface.

  • Si vous aimez une histoire très bien ficelée, où la fin n’est pas décevante et où, rétrospectivement, on peut retrouver tout au long du récit les indices qui l’avaient amenée.
  • Si un langage fleuri, souvent campagnard, parfois snob, mais toujours en phase avec les personnages, ne vous offusque pas. On pense souvent à Marcel Aymé.
  • Si l’évocation des années soixante vous rend nostalgique d’une société en pleine mutation qui n’existe plus.
  • Si vous pensez que la solitude a ses tristesses mais aussi ses récompenses.
  • Si vous pensez que Céline ou Proust valent le coup d’être lus, et même Sartre.
  • Si vous aimez un humour un peu suranné, et si le nom de Geneviève Tabouis vous déclenche une madeleine.
    Vous aimerez Jubilé, d’Henri Girard, et vous en retirerez un goût de pommes acides, de girolles et de lapin en civet. Et flottera sur votre visage un sourire qui vous fera voir la vie en une nuance un peu plus rose que d’habitude. 

Laurence Grenier (28/02/2013)

PS : au lieu d’un livre tout récent qui ne me dirait rien, je vous propose ce très joli livre, que j’ai découvert au salon du livre 2006, et qui n’a pas eu la chance qu’il mérite, la maison d’édition qui le publiait ayant déposé le bilan. Pour vous le procurer, vous pouvez envoyer un chèque à : Editions L’Arganier, Mireille Virot, 10, rue de l’Eglise, 77930 Perthes. Prix : 18 €, port inclus Depuis, Henri Girard a publié plusieurs romans, des nouvelles, qui ont toujours la même qualité : une bonne histoire très bien racontée dont la fin est logique, quoique très surprenante. Et surtout avec beaucoup d’humour et dans une langue pleine de mots savoureux, ce qui n’est pas si courant de nos jours. Vous pouvez en savoir plus en allant sur son site http://www.auteur-roman-nouvelles.com/ 



Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier

Nul Canadien ne peut avoir oublié "les Grands feux qui, au début du XXe siècle ravagèrent l'Ontario et les régions avoisinantes, produisant des fumées si épaisses et nocives qu'elles détruisirent gens et bêtes, au point qu'"il pleuvait des oiseaux" !
Soixante ans plus tard, rien d'étonnant donc à ce qu'une photographe, soucieuse de mémoire, parte à la recherche de Boychuck, l'un des rares protagonistes qui, adolescent à l'époque, ait survécu. Pour le découvrir, il lui faudra s'en aller au plus profond des forêts, et apprivoiser deux vieux ermites, âgés de 80 ans ; épris de liberté et qui se sont volontairement retirés du monde. Conquérir "Marie Desneiges" enfermée arbitrairement pendant soixante ans par sa famille, dans un asile psychiatrique et qui a réussi à s'échapper. Vous verrez alors que la vieillesse ainsi conçue n'est pas si terrible ! Et vous serez bouleversés par le magnifique testament laissé par Boychuck qui, bien qu'aveugle, était devenu peintre ! Un bijou d'écriture, hors des modes ! 

Jeanine Smolec-Rivais (14/12/2012)

Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier - Editions XYZ Canada. Prix de la Création artistique du CALQ (2010). Prix des Lecteurs (2012)

 

Les cheveux de Lucrèce - Étienne Barilier
Un « petit livre » d’Étienne Barilier, petit par sa taille, mais pas par la force de l’intrigue ni celle de l’impression qu’il laisse au lecteur.
Lucrezia Borgia était-elle l’affreuse créature que l’on a toujours décrit ? La jeune Lucrezia du roman, si elle a les mêmes blonds cheveux que ceux de son aînée (gardés précieusement à la Biblioteca Ambrosiana de Milan) est, elle, un genre de madone. Clément, jeune homme aussi réservé que son quasi-jumeau (Arnaud - lui si débrouillard dans toutes les choses de la vie) en tombera éperdument amoureux. On ne dévoilera pas l’intrigue qui se situe en marge des métiers d’art en Italie, sorte de machination du Mal envers le Beau et le Pur. On sort de la lecture comme sonné devant tout ce sordide si élégamment narré, étayé comme d’habitude par une grande culture.

Les cheveux de Lucrèce - Étienne Barilier - Buchet Chastel - 2015 - 240 p., 15,00 €

Thierry Vagne - 23/10/15


Pourquoi Oradour-sur-Glane : mystères et falsifications autour d’un crime de guerre
Le 7 décembre 2014, à la Maison du Limousin de Paris, Michel Baury a présenté devant une salle comble son dernier ouvrage : «Pourquoi Oradour-sur-Glane : mystères et falsifications autour d’un crime de guerre».
Homme aux multiples talents, Michel Baury est ingénieur en génie atomique, il a publié des recueils de poésie, des essais, des traductions du roumain de contes pour enfants, un ouvrage de collecte de mémoire sur l’Occupation, «Augustine-Liberté, coeur de femme au quotidien - 1939-1945 : journal de guerre en Limousin» Editions Thélès, Paris. Michel Baury fut Président de notre association de 1996 à 1999.
Limousin lui-même, M. Baury porte forcément un grand intérêt à tout ce qui touche à la guerre en Limousin et devant le massacre d’Oradour-sur-Glane, l’un des événements les plus mystérieux et les plus sanglants de l’Occupation, il décide de chercher à comprendre ce qui s’est réellement passé le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane.
Scientifique de formation, M. Baury adopte une démarche scientifique rigoureuse et met sa passion à la recherche de la Vérité historique. Il analyse, décortique les témoignages oraux et écrits, ceux déjà disponibles et ceux qu’il suscite et recueille, car il base sa collecte de mémoire sur la diversité des témoignages. Il détaille avec minutie la chronologie des déplacements des protagonistes, résistants français et soldats allemands. Il traque les silences et les «non-dits» qui ont pesé et épaissi les mystères.
Les questions lancinantes tournent en boucle : pourquoi ce village paisible ? Les Allemands auraient-ils confondu Oradour-sur-Glane avec Oradour de Linards, lui au cœur de la Résistance mais aussi de la Milice ...
La décision de faire un exemple a-t-elle été prise après la capture et l’exécution par la Résistance du commandant Kämpfe, «héros» de la division «Das Reich», deux jours avant le massacre ?
Il demeure des incertitudes sur l’ «affaire Kämpfe» et les silences de la Résistance ont permis aux Allemands une falsification de sépulture : au cimetière de Berneuil, en Charente-Maritime une plaque porte le nom de H.Kämpfe, alors qu’il est impossible que sa dépouille repose en ce cimetière.
Laissons Michel Baury conclure : «c’est la pluralité des témoignages qui, par les recoupements possibles qu’elle permet, conduit à une certaine approche de la «vérité historique». C’est le travail qui a été tenté dans la construction de cet essai. Il ne prétend pas avoir conduit à la découverte de cette «vérité historique» ; il se limite à avoir tenté une certaine approche avec toute la rigueur d’un scientifique de formation !» Mais précisons cependant que malgré la gravité du propos, ce travail magistral se lit «comme un roman» grâce au talent de l’auteur.

Monique Venier-Ziesel 12/01/15

 

De la bêtise - Robert Musil

Les éditions Allia ont réédité, en janvier 2012, le texte de la conférence prononcée par Robert Musil à Vienne, le 11 mars 1937, « De la bêtise ».
La bêtise étant universelle et de toutes les époques, j’ai voulu savoir comment Musil la concevait. En fait, il arrive à la conclusion que la bêtise est impossible à définir tant elle jouxte d’autres domaines.
Les proverbes cités par l’écrivain sont frappés au coin du bon sens populaire : « Qui se loue s’emboue » et « Vanité et bêtise poussent sur la même tige », mais la bêtise ne se limite pas à la vanité, elle présente de multiples aspects et, comme le dit Musil, « Nous sommes tous bêtes à l’occasion ». Si nous prenons vraiment conscience des limites de notre savoir et de notre pouvoir, nous arrivons à la modestie, qui est « la meilleure arme contre la bêtise ». Et Musil se demande si nous ne quittons pas là le domaine de la bêtise pour celui de la sagesse « région déshéritée et généralement évitée par les voyageurs ». Site de l'éditeur

Marie-José Sélaudoux (25/6/2013)



Jubilé, de Henri Girard

Quand Angelbert Luppin, cantonnier dans un village normand, prend sa retraite, une fête qui rassemble notables, commerçants et petits employés est donnée à la mairie. Entre de beaux cadeaux utiles (une veste de chasse et un poste de radio à transistors) se faufile un paquet étrange, un paquet qui contient plusieurs livres, sans mot d'accompagnement.
Tout ce roman de 300 pages tourne autour de ces livres et l'enquête que mènera Angelbert pour trouver leur provenance. En chemin cette aventure rapprochera des êtres qui passaient leur vie dans la solitude alors qu’ils étaient faits pour vivre ensemble. Des personnages sortis de la France profonde telle qu’on n’oserait plus l’imaginer, du maire héritier des seigneurs d’autrefois, au curé, sans oublier l’instituteur et le facteur, toute une farandole truculente et colorée, la réminiscence d'une enfance douloureuse, des rencontres qui l'amèneront à découvrir une vérité bien plus vaste que la révélation de l'identité de l'expéditeur, attendent notre héros, et nous font revivre une époque où les choses paraissaient plus simples, du moins à la surface.

  • Si vous aimez une histoire très bien ficelée, où la fin n’est pas décevante et où, rétrospectivement, on peut retrouver tout au long du récit les indices qui l’avaient amenée.
  • Si un langage fleuri, souvent campagnard, parfois snob, mais toujours en phase avec les personnages, ne vous offusque pas. On pense souvent à Marcel Aymé.
  • Si l’évocation des années soixante vous rend nostalgique d’une société en pleine mutation qui n’existe plus.
  • Si vous pensez que la solitude a ses tristesses mais aussi ses récompenses.
  • Si vous pensez que Céline ou Proust valent le coup d’être lus, et même Sartre.
  • Si vous aimez un humour un peu suranné, et si le nom de Geneviève Tabouis vous déclenche une madeleine.
    Vous aimerez Jubilé, d’Henri Girard, et vous en retirerez un goût de pommes acides, de girolles et de lapin en civet. Et flottera sur votre visage un sourire qui vous fera voir la vie en une nuance un peu plus rose que d’habitude. 

Laurence Grenier (28/02/2013)

PS : au lieu d’un livre tout récent qui ne me dirait rien, je vous propose ce très joli livre, que j’ai découvert au salon du livre 2006, et qui n’a pas eu la chance qu’il mérite, la maison d’édition qui le publiait ayant déposé le bilan. Pour vous le procurer, vous pouvez envoyer un chèque à : Editions L’Arganier, Mireille Virot, 10, rue de l’Eglise, 77930 Perthes. Prix : 18 €, port inclus Depuis, Henri Girard a publié plusieurs romans, des nouvelles, qui ont toujours la même qualité : une bonne histoire très bien racontée dont la fin est logique, quoique très surprenante. Et surtout avec beaucoup d’humour et dans une langue pleine de mots savoureux, ce qui n’est pas si courant de nos jours. Vous pouvez en savoir plus en allant sur son site http://www.auteur-roman-nouvelles.com/ 



Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier

Nul Canadien ne peut avoir oublié "les Grands feux qui, au début du XXe siècle ravagèrent l'Ontario et les régions avoisinantes, produisant des fumées si épaisses et nocives qu'elles détruisirent gens et bêtes, au point qu'"il pleuvait des oiseaux" !
Soixante ans plus tard, rien d'étonnant donc à ce qu'une photographe, soucieuse de mémoire, parte à la recherche de Boychuck, l'un des rares protagonistes qui, adolescent à l'époque, ait survécu. Pour le découvrir, il lui faudra s'en aller au plus profond des forêts, et apprivoiser deux vieux ermites, âgés de 80 ans ; épris de liberté et qui se sont volontairement retirés du monde. Conquérir "Marie Desneiges" enfermée arbitrairement pendant soixante ans par sa famille, dans un asile psychiatrique et qui a réussi à s'échapper. Vous verrez alors que la vieillesse ainsi conçue n'est pas si terrible ! Et vous serez bouleversés par le magnifique testament laissé par Boychuck qui, bien qu'aveugle, était devenu peintre ! Un bijou d'écriture, hors des modes ! 

Jeanine Smolec-Rivais (14/12/2012)

Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier - Editions XYZ Canada. Prix de la Création artistique du CALQ (2010). Prix des Lecteurs (2012)

 


Que savons-nous du monde ?

D'une écriture toujours directe, vivante et intelligente, le romancier et essayiste suisse Étienne Barilier s'intéresse dans ce nouvel ouvrage aux médias, à la faveur de leur dématérialisation croissante.

On y vérifie notamment que dans leur « soif de magie » et leur « recherche de l’innocence », les médias ne se comportent guère différemment de leurs consommateurs.

L’auteur nous fait apprécier les nombreuses dérives sémantiques de nos médias "modernes" et tout y passe : Outreau, les "martyrs" djihadistes, l’islamophobie, Fukushima, Polanski, les révolutions arabes, la Somalie, la Côte d’Ivoire, etc.

Un livre assez jubilatoire d’un observateur attentif et clairvoyant.

Thierry Vagne (25/9/2012)

Que savons-nous du monde ? - Étienne Barilier - Éditions Zoé - 2012 - 192 p. - 27.00 CHF



La page, de l’Antiquité à l’ère du numérique

Amoureux des livres et tout autant passionné d’édition multimédia, on ne pouvait que se précipiter pour lire cet ouvrage, pensant y trouver « matière » à améliorer nos divers travaux d’édition.br> Las, seul le premier chapitre aborde le sujet attendu* ; il dresse un rapide état des lieux de l’édition actuelle et, dès ce premier chapitre, nous en sommes déjà à un parcours historique de l’édition « papier ».
Mais, si le titre induit une certaine tromperie sur la marchandise, l’intérêt est ailleurs : en effet, l’auteur - très érudit - nous propose une histoire de la page de livre au travers des pratiques historiques de diffusion, de modification et de réception des textes depuis l’Antiquité :

- La chronique d’Eusèbe (IVe siècle), qui réunit en un seul livre les histoires des grandes civilisations du monde antique : Assyrie, Egypte, Israël, Perse, Grèce et Rome.
- Le patchwork de documents préexistants qu’est la Chronique de Nuremberg (1493) d’Hartmann Schedel.
- Le dictionnaire de Pierre Bayle (1647-1706) qui préfigurera l’Encyclopédie.

De nombreux exemples qui montrent que la « page » n’était pas aussi figée que l’on imagine. À noter de magnifiques reproductions de pages anciennes.

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* : Si l’on partage les réticences de l’auteur vis-à-vis du butinage et ses critiques à propos des liseuses actuelles, pour nous, le livre électronique reste à inventer : ce serait un programme informatique utilisable à l’aide d’un navigateur (à partir d’un micro-ordinateur fixe ou portable ou bien à partir d’une tablette), permettant de « feuilleter » l’ouvrage (qui ait donc bien un début et une fin), de suivre des hyperliens tout en pouvant à tout moment revenir à la « page » de départ, d’apporter des annotations stockables (de « corner » la page à l’aide de signets pouvant être décrits). Ce ne serait plus une page au sens livresque, mais ce que l’on appelle dans le domaine de la formation en ligne une « page-écran », au format d’ailleurs variable.

Thierry Vagne (09/9/2012)

La page, de l’Antiquité à l’ère du numérique - Anthony Grafton - Louvre éditions - 272 p. - 25 €



Esthétique de la ponctuation

Lecteur ! Si la linguistique ne t’es pas familière, si anaphorique, apostasie, aporie, asyndétique, etc. te sont complètement inconnus, ne dédaigne pas pour autant l’ouvrage d’Isabelle Serça : il te démontrera - au rebours des démagogues qui veulent « simplifier » la langue française - que tous les , . ; ( ) - … permettent aux auteurs d’apporter à leur texte rythme, échappées, réminiscences (outre Claude Simon et Julien Gracq, c’est bien Marcel Proust le référent du livre ; notamment, les mises en perspective de versions successives de passages de La Recherche sont très pénétrantes) et ainsi de rejoindre la musique pour « surmonter l’angoisse devant l’irréversibilité et l’inéluctabilité du vieillissement et de la mort en substituant au temps réel destructeur un espace clos où se profile le rêve d’une existence toujours nouvelle et indéfiniment inachevée » (Michel Imberty).

Thierry Vagne (14/6/2012)

Esthétique de la ponctuation - Isabelle Serça - Gallimard - 308 p. - 23,50 € 

 

L'empreinte culturelle de la Bible

Passe ton chemin lecteur si le temps te manque. Cet essai à quatre mains mérite patience et curiosité intellectuelle. Mais si tu aimes la Littérature et les Arts, si tu tentes de comprendre notre époque et ses valeurs, ouvre donc cet ouvrage du philosophe catholique Jean-Claude Eslin et du professeur de Lettres Chantal Labre. 
Ces deux érudits parisiens ont conjugué leur savoir et leur esprit critique pour proposer aux étudiants en lettres : "L'empreinte culturelle de la Bible - Un état des lieux européens" (Armand Colin). En 230 pages, ils étudient l'influence (décroissante) de la Bible sur notre Littérature occidentale, depuis les "époques heureuses aux 16e et 17e siècles" jusqu'à notre "nouvelle civilisation" (Handke, Modiano, Coetze, Houellebecq). Rien de moins.       Pourquoi se priver de connaitre Noé, Job, Salomé... dans une galerie de portraits incroyables, mythiques et fondateurs de la civilisation judéo-chrétienne? Inquiets, Jean-Claude Eslin et Chantal Labre laissent l'avant-dernier mot à Emmanuel Levinas : "L'homme moderne est né de père inconnu".
Après un discret coup de griffe au philosophe contemporain Michel Onfray, ils plaident pour "la présence du passé dans le présent", pour la transmission d'un patrimoine biblique dans une sécularisation. Ils assurent que vouloir priver les jeunes générations des poèmes, des visions et des mythes bibliques constitue "une piètre conception de la modernité". 

Marie-France Blumereau-Maniglier

L'empreinte culturelle de la Bible -  Un état des lieux européen - Jean-Claude Eslin, Armand Colin - 2010 - 192 p. - 19,50 €