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L'art visuel - Livres - Musique - Théâtre - Cinéma

 

L'art visuel

Le geste retrouvé : reconstitution du torque celte de Montans

Une visite guidée d’environ une demi-heure dans les locaux de l’École des Arts Joailliers van Cleef & Arpels. 
Une première conférence illustrée de vidéos permet d’abord d’appréhender les savoir-faire et techniques ancestraux utilisés lors de la reconstitution à l’identique d’un torque en or, collier rigide et torsadé porté par les celtes, retrouvé à Montans dans le Tarn et datant du Second âge du Fer (450 - 25 avant notre ère).
Une deuxième conférence présente le magnifique Hôtel de Mercy-Argenteau, hôtel particulier situé sur les Grands boulevards, ainsi que son histoire au travers de celle du comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche du temps de Louis XVI.

École des Arts Joailliers - Grands Boulevards - Paris 9e
Entrée gratuite - Réservation en ligne obligatoire.

Thierry Vagne (16/7/2025)


 

David Hockney, un festin de couleurs

Une explosion de couleurs, du rouge vermillon au vert tendre, en passant par le bleu violet.  Dès l’entrée de l'exposition Hockney à la Fondation Vuitton le visiteur est happé par la lumière et l’évocation du printemps qui se dégage des tableaux du peintre anglais David Hockney. C’est un ravissement que cet éclat de couleurs des tableaux mis en espace par le commissaire Sir Norman Rosenthal et la directrice de la fondation, la conservatrice Suzanne Pagé.  Accrochage réalisé sous l’œil du peintre. L’artiste britannique a choisi de privilégier ses œuvres des vingt-cinq dernières années. L’exposition se concentre surtout sur les paysages du Yorkshire et de la Normandie, où le peintre à vécu. Il a capté l’arrivée des saisons dans les campagnes anglaise et normande : routes vallonnées, champs et bois, lumineux ou sombres, selon la lumière. Se glissent aussi quelques  œuvres anciennes connues,  comme le célèbre «  Portrait of an artiste » peint à Los Angeles en 1972 - une peinture acrylique avec deux personnages : un nageur dans la piscine et son visiteur, habillé, le regardant nager, debout sur le bord de la piscine. 

Le voyageur

David Hockney, 88 ans, aura été un grand voyageur et un amateur de techniques modernes. Né dans la ville ouvrière de Bradford, dans le nord de l’Angleterre, il intègre le Royal College of arts de Londres, puis, diplôme en poche, va s’installer à Los Angeles. C’est là que naîtront les portraits d’intimes et la série des piscines, des peintures célébrant la Californie « hédoniste, solaire et libérée », c’est aussi là qu’il peint de grands paysages.Des sites qui inspirent au peintre une autre manière de voir, comme le Nichols Canyon peint en surplomb, ou la composition des 60 tableaux peints sur huile pour former le Bigger Grand Canyon. Ce sont des aplats de couleurs franches et pures avec des points de vue divers. A la fin des années 1990, après la mort de sa mère, il revient en Angleterre, dans le Yorkshire il emménage  dans une maison où vivaient sa mère et sa sœur, et choisit de représenter la campagne et la couleur des saisons.   Le peintre ne s’interdit pas d’utiliser les techniques contemporaines pour fixer les instants ou les motifs qu’il veut peindre. Il utilise alors le téléphone mobile,  l’IPAD  et crée un logiciel qui lui permet d’utiliser pinceaux et couleurs.  «  L’Iphone et l’IPad fonctionnaient pour lui comme des carnets de croquis électroniques », écrit  l’historienne de l’art Anne Lyles «   Il a souvent raconté que se réveillant tôt le matin, il regardait le soleil se lever et saisissait son Iphone pour enregistrer les couleurs qu’il avait sous les yeux (…) » Comme il utilisait des caméras  placées à l’avant d’une jeep noire, pour capturer en temps réel des modes d’observation successifs  tout au long de l’année ».  C’est ainsi qu’il nous donne à voir la série des aubépines, car chaque année l’arrivée de la fleur variait de manière imprévisible et Hockney laissait tout tomber pour saisir le merveilleux blanc éclatant de la fleur «  May blossom on the Roman road »  huit toiles de 2009. Et « Hawthorn blossom near Rudston » 2008 . Les portraits de fleurs à l’ordinateur sont nombreux. Dessinés sur IPad, ils sont ensuite reproduits sur papier monté sur aluminium. Grâce à la luminosité des écrans informatiques, il peut peindre la nuit et restituer la magie du soir dans la série « Moon »(2020).

Visitant la tapisserie de la reine Mathilde à Bayeux en 2008, il décide de s’installer en Normandie, il  achète une maison à Pont-L'évêque et va être contraint, par le confinement, d’y rester quatre ans, ce qui lui permet de réaliser la série «  220 pour 2020 » des vues normandes selon les saisons, il  peint les changements dans tous leurs états. L’utilisation de moyens techniques, Iphone, Ipad, photoshop,  permet de revisiter le même motif, d’enregistrer les variations de lumière. Le paysage est le partenaire obligé de ses créations.  «  La conviction que la vision objective n’existe pas donne à l’IPad une vocation inespérée de journal visuel ».  Il peindra 50 toiles en l’espace de six semaines.

Son ambition

David Hockney a une ambition : se mesurer à l’histoire de l’art. Théo de Luca, historien de l’art,  écrit «  l’exploration de l’histoire de l’art de Hockney se confond avec son adhésion à des façons de voir autres. (…)Son décentrement constant pour rencontrer les interprétations de ses prédécesseurs empêche son approche artistique de se fixer, c’est-à-dire de devenir un style ( ...) L’histoire de l’art est un monde qui ne cesse de recommencer (. ..)Dans l’étude de la peinture chinoise au rouleau, il trouve la notion d’un espace étendue à dans toutes les directions, infini jusqu’au ciel ».
A Bigger message, un ensemble de 30 toiles peintes à l’huile est une démonstration de sa manière de changer de style. Il s’est inspiré du Sermon sur la montagne de Claude Lorrain pour créer une structure, les couleurs sont violentes, les adeptes au pied de la montagne sont vus de  de dos, comme chez Lorrain.  C’est l’espace dans le tableau qui attire Hockney. De même la composition Kerby d’après Hogarth. Paysages naturels ou compositions, le changement de styles n’empêche pas de reconnaître la pâte particulière de David Hockney. Un  monde simple et coloré .  

La vérité des portraits

Les portraits de ses proches, soixante portraits et de lui-même : dix huit autoportraits sont présentés à la fondation :  sa famille, ses amis. L’artiste explique à la conservatrice Suzanne Pagé : « Portraits réalisés à l’Ipad très rapidement pour pouvoir saisir quelque chose de vrai ,  à l’huile, à l’acrylique, au fusain, au crayon sur toile ». Les portraits se détachent sur des fonds vert ou bleu tendre. L’immense dessin photographique imprimé sur papier et monté sur sept feuilles de Dibond*, est à mettre en exergue. Une série de personnages sont assis, de dos, sur des chaises en bois clair et un miroir les montrent de face. Tout cet ensemble sur la même  toile,  ce « Pictured Gathering with Mirror »s’étire sur 273,1 cm de haut et 733,4 cm de long ». Impressionnant d’unité et de force.

David Hockney a un  surprenant talent pour nous faire partager le jaillissement de la vie et nous montrer sa vision en adaptant la technique la plus efficace.  Avec Hockney nous célébrons les couleurs du  printemps.

 *Dibond :  plaque plastique durable et résistante.

Fondation Louis Vuitton jusqu'au 31 août 2025

Hélène Queuille (19/4/2025)


 

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Alfred Dreyfus -Vérité et justice

Accueillant le visiteur dans la cour d’honneur du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, la sculpture monumentale de l’artiste Tim, pseudonyme de Louis Mitelberg, rend un émouvant hommage à Alfred Dreyfus. La statue le représente, en pied, tenant son sabre brisé devant le visage.

 L’exposition consacrée à Alfred Dreyfus (1859-1935) déroule le récit de l’affaire dont on mesure au fil des documents d’archives, la violence antisémite qui l’anime. Dans chaque salle, sur les murs, on peut lire de nombreuses citations très émouvantes extraites de ses écrits. L’exposition replace Dreyfus au centre du propos. Ce procédé corrige l’image d’un Dreyfus effacé, spectateur passif de sa propre affaire. Elle rassemble près de 250 documents d’archives et une soixantaine d'œuvres.

Alfred Dreyfus est né en 1859 à Mulhouse, au sein d’une famille juive assimilée, dont le père Raphaël, colporteur à l'origine, a fait fortune en créant en 1862 une grande filature de coton. Sa mère, Jeannette Liebman Weil, d’origine lorraine, est couturière. Le 27 septembre 1791, les Juifs deviennent des citoyens à part entière. Depuis cette date, si l’on excepte l'odieuse parenthèse du régime de Vichy, il y a des Français juifs ou non, comme des Français croyants ou non, noirs ou blancs. La guerre de 1870, suivie de la défaite française, de l’annexion de l’Alsace - Moselle par l'Allemagne, sont déterminantes dans le choix de Dreyfus de devenir officier au service de la France. “Heureux comme Dieu en France” dit un proverbe yiddish. Pourtant la haine des Juifs s'étale au grand jour comme pour les élections législatives du 22 septembre 1889 : “ Willette candidat antisémite […] les Juifs ne sont grands que parce que nous sommes à genoux !...LEVONS NOUS ! “ Odieuse, cette lithographie sur papier ! Cette époque marque la montée en puissance du nationalisme et de ses avatars : populisme, xénophobie et antisémitisme avec la publication de la France juive d’Edouard Drumont. Il est l’une des principales figures de l’antisémitisme en France. Polytechnicien en 1878, Dreyfus intègre deux ans plus tard l'École d’application d’artillerie de Fontainebleau avant d’entrer à l’École supérieure de guerre en 1890.

Mais quand les plus hauts gradés sont alertés d’une affaire d’espionnage au profit de l’Allemagne, ils n’envisagent qu’un seul coupable idéal : le brillant stagiaire juif. L’enquête est bâclée et, jugée par le préjugé antisémite. Intervenant dans l’affaire Dreyfus pour analyser le fameux bordereau accusateur, Alphonse Bertillon (1853-1914), le père de la photo judiciaire, conclut à la culpabilité du capitaine Dreyfus en essayant de montrer qu’il a volontairement falsifié sa propre écriture.!! Il synthétise sa théorie dans un délirant diagramme (le“redan”), qu’il place, en 1894, sous le regard des membres du premier conseil de guerre. “Je n’attachai aucune importance à la déposition de Bertillon, car elle me parut l'œuvre d'un fou.” Alfred Dreyfus

Le 22 décembre 1894, Dreyfus, qui n’a cessé de clamer son innocence, est condamné à la dégradation et à la déportation perpétuelle pour haute trahison. On peut voir, dans l’exposition, des objets poignants comme les galons arrachés dans la cour de l’école militaire, le 5 janvier 1895. Au moment de son départ en déportation, Dreyfus adresse de nombreux courriers à ses connaissances dont une lettre au grand-rabbin de France, Zadoc Kahn, qui avait officialisé son mariage, pour demander “consolations et encouragements”. Le 21 février 1895, il est embarqué pour l’île au Diable, au large de la Guyane, ancien bagne devenu campement de lépreux. Enfermé dans une case de 16 m2, il est mal nourri et le climat équatorial est éprouvant. On est très ému par les cahiers qu’il remplissait au bagne pour ne pas devenir fou. Il reprendra ses notes complétées par sa correspondance avec son épouse Lucie pour publier en 1901, Cinq années de ma vie.

On est fasciné par le combat que se livrent les artistes par oeuvres interposées : les tableaux de Félix Vallotton, Edouard Vuillard, Eugène Carrière, Edouard Debat- Ponsan, Jacques- Émile Blanche, Maximilien Luce…Aux portraits des dreyfusards s’oppose celui, abject, du grand rabbin Astruc par Edgar Degas. Fin août 1896, le lieutenant-colonel Picard, chef du service de renseignements militaires, découvre la culpabilité d’Esterhazy. Ses chefs refusent de l’entendre. A partir de septembre 1896, en réponse à la publication de la fausse nouvelle de son évasion, Dreyfus est mis aux fers, la nuit. Une nouvelle palissade est construite autour de sa case l'empêchant de voir la mer. Dreyfus envoie de très nombreuses lettres au Président de la République et aux différentes autorités pour demander la révision de son procès. Bernard Lazare, critique, poète, publiciste analyse l’Affaire sous l’angle de l’antisémitisme. Il est convaincu de l’innocence de Dreyfus. Il publie Une erreur judiciaire. La vérité sur l’affaire Dreyfus. En juillet 1897, le vice-président du sénat, Scheurer-Kestner prend sa défense. Mathieu,le frère d'Alfred Dreyfus, apprend l’identité du véritable traître, Esterhazy, et le dénonce. Les 10 et 11 janvier, Esterhazy est jugé à huis clos et acquitté par un tribunal militaire.

Le 13 janvier, Zola publie “J’Accuse” dans l’Aurore. Dans cette lettre ouverte au Président de la République, Zola prend la défense de Dreyfus, que la justice refuse d’innocenter, et dénonce l'acquittement d’Esterhazy, malgré les nouvelles preuves accablant celui-ci de trahison. Il y dénonce la machination contre Dreyfus. Les 300 000 exemplaires de l'Aurore sont vendus en quelques heures. On peut voir le portrait de Zola d’Ernest Pignon-Ernest sur le texte de son article à la une de L’Aurore. Zola obtient son procès. Il force ceux qui voulaient le silence à écouter et surtout à témoigner dans le prétoire d’un tribunal civil. Zola est condamné. Elles sont édifiantes, les caricatures de Zola qui apparaît comme “le roi des porcs” dans le musée des horreurs. Ce dernier est une série d’affichettes antidreyfusardes, antisémites et publiées entre le 1er octobre 1899, après le procès de Rennes, et décembre 1900, par Victor Auguste Lenepveu, et diffusées comme la presse. Le verrier, ébéniste et céramique Émile Gallé, convaincu de l’innocence de Dreyfus, s’engage pour sa défense en avril 1898 à la suite du verdict du procès Zola. Son engagement lui vaut d’être mis au ban de la bonne société nancéienne et de perdre des commandes. Il est obligé de fermer son usine. Pour rendre hommage à son courage, nous pouvons admirer des objets d’art et du mobilier d'Emile Gallé. Le lieutenant -colonel Henry avoue avoir fabriqué un faux contre Dreyfus. Le lendemain, il est retrouvé la gorge tranchée dans sa cellule.

Le 3 juin 1899, la Cour de cassation casse et annule le jugement de 1894 et renvoie Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes. Il revient en France, le 30 juin 1899. Les débats se tiennent dans la ville de Rennes en état de siège. Fernand Labori, avocat de la défense est victime d’une tentative d’assassinat. A l’issue du procès de Rennes, Dreyfus est condamné avec circonstances atténuantes. Après sa nouvelle condamnation, Dreyfus est gracié par le Président Émile Loubet, sur proposition du président du conseil Waldeck-Rousseau. “L'incident est clos” dira le général Galliffet, ministre de la guerre ! Clos mais pas pour Dreyfus : “Je veux que la France entière sache par un jugement définitif que je suis innocent.” En juillet 1906, la Cour de cassation casse le jugement de Rennes et Dreyfus est réintégré dans l’armée avec le grade de commandant et décoré de la Légion d’honneur mais perd ses 5 ans d’ancienneté. Le calcul de ses terribles années de souffrances à l’île au Diable a été “oublié”. Il se heurte au refus de Clémenceau, président du conseil et du général Picquart, ministre de la guerre, deux de ses plus importants défenseurs… En juin 1907, voyant sa carrière bloquée, Dreyfus demande sa mise à la retraite. Le 4 juin 1908, lors de la panthéonisation de Zola, Dreyfus est victime d’une tentative d’assassinat par Jean-Louis Grégori, journaliste, nationaliste, antisémite. Ce dernier est acquitté… Bien qu'âgé de 55 ans en 1914, Dreyfus reprend son service durant toute la Grande Guerre. Il participe notamment aux dramatiques combats du Chemin des Dames en 1917. Il est placé sous les ordres d’un colonel antisémite et militant de “l’Action française.” Dreyfus décède le 12 juillet 1935. Il est inhumé au cimetière Montparnasse. La diffusion des films sur l’Affaire provoque l’inquiétude du gouvernement français qui promulgue en 1915 une loi interdisant tous les films sur Dreyfus. Cette interdiction, qui touche également Dreyfus, film allemand du réalisateur autrichien d’origine juive Richard Oswald, sorti en 1930, ne sera levée qu’en 1950.

Cette exposition est captivante, émouvante. Elle est également très pédagogique et joue un rôle de formation d’une nouvelle génération du CM2 à l’université. A travers Dreyfus, c’est le combat contre la haine des Juifs qui s’illustre remarquablement. A l’heure où l’antisémitisme reprend des couleurs, en France, soyons très vigilants.

Une exposition à ne pas manquer.
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Jusqu'au 31 août 2025

Jackie Morelle (19/4/2025)


Théâtre

Les Collectionnistes

Le charmant Théâtre du Petit Montparnasse nous a rarement déçus.
Ce soir, il est question de peinture. Sous le curieux titre "Les Collectionnistes", François Barluet a imaginé une réunion chez les Durand-Ruel. Selon les recettes les plus classiques chères à Lagarde et Michard, il y aura unité de temps, d'objet et de lieu. Le metteur en scène Christophe Lidon va nous enfermer pendant une grosse heure dans un salon bourgeois, celui du marchand de tableaux Paul Durand-Ruel (1831-1922 incarné par Christophe de Mareuil) et de sa charmante épouse Jeanne-Marie (Christèle Reboul). Pour un peu, le décor serait planté pour une pièce de Georges Feydeau.
Nous sommes juste après la funeste guerre de 1870. Durand-Ruel est allé pendant les combats se réfugier à Londres où il a rencontré Monet. De retour à Paris, il accueille ceux qu'on va bientôt appeler "les Impressionnistes". Il croit à leur futur, les soutient, achète leurs toiles. Le marché n'est pas prêt, mais le marchand a une longueur d'avance (on dit que dans sa longue vie Durand-Ruel acheta douze mille tableaux). Il s'endette, mais est soutenu par sa banque, l'Union Générale. Durand-Ruel ne peut abandonner ses amis peintres, comme Auguste Renoir (Victor Boucigault). Il y a aussi le directeur du journal véreux, “Le Constitutionnel” (Frederic Imberty) qui fait du chantage et tourne autour de la belle Jeanne-Marie. La banque va-t-elle se décourager ? l'épouse aimante s'en aller ? on vous laisse découvrir la suite...
C'est joliment écrit, bien joué avec quelquefois des allures de pièce de patronage. On révise son histoire de l'art à un tournant décisif, et on passe un bon moment.
Bruno Caudrillier (23/3/2025)

Site


Cinéma

Le Quatrième mur

Qu'est-ce que le « quatrième mur » ? On attribue cette expression à Diderot, qui désigne ainsi le mur invisible séparant la scène d'un théâtre de son public.
C'est le titre qu'a choisi le journaliste-romancier Sorj Chalendon (72 ans) pour son roman publié en 2013, qui se passe au début de la guerre civile du Liban. Une zone que connaît bien le reporter de guerre, pour avoir couvert les conflits de la région.  Le réalisateur français David Oelhoffen a gardé le même titre quand il décida de mettre en images ce roman.
Nous sommes donc en 1982 ; la guerre fait rage dans une Beyrouth dévastée. A Paris, un vieillard juif-grec, Sam (= Bernard Bloch) a eu l'idée folle de monter dans la capitale libanaise l'Antigone de Jean Anouilh. Cette belle et sombre pièce a été écrite dans le Paris occupé de 1944, et parle de guerre civile et de déchirements familiaux. Pour cette nouvelle production, les acteurs doivent provenir des différentes communautés du pays, et la pièce doit être jouée dans un théâtre en ruines, juste sur la frontière séparant Chrétiens et Musulmans.  Sam est dans la dernière ligne droite. Il sait qu'il ne pourra pas relever ce défi. Alors il convoque son élève et ami Georges (Laurent Lafitte). Celui-ci hésite : il ne connaît rien de la situation au Liban. Pressé par Sam, il finit par accepter.  Le voilà donc débarqué à Beyrouth. Il est accueilli par un copain de Sam, Marwan (formidable Simon Abkarian). Nous sommes tout de suite dans le bain : il y a des check-points à chaque coin de rue, les balles sifflent et les bombes tombent.  Georges ne se dégonfle pas : il lance la mise en scène, rassemblant Druzes, Chrétiens, Palestiniens, Chiites, Sunnites. Tous sont touchants, pleins de bonne volonté. Georges est particulièrement réceptif au charme dégagé par la jeune actrice palestinienne incarnant Antigone, Imane ( magnifique Manal Issa). Il doit mener sa mise en scène en tenant compte des tensions intercommunautaires ; il apprend vite.  Hélas la guerre rôde aux alentours, et viendra bientôt s'inviter dans ce si beau projet. Préparez-vous à des scènes violentes.
La mise en scène est sèche et rapide, dans un style sobre genre « documentaire sur Arte », et on reste suspendu à l'intrigue pendant les deux heures du film.  Les acteurs sont exceptionnels. Depuis qu'il a quitté la Maison de Molière, Laurent Lafitte enchaîne avec bonheur des rôles très divers. Quant à Simon Abkarian, il n'a eu aucun mal à se fondre dans le personnage de Marwan, y compris l'accent, car il a passé sa jeunesse à Beyrouth. Et on a déjà dit tout le bien que l'on pense de la jolie, spirituelle, fondante Manal Issa.
C'est un beau film, qui entre hélas en résonance avec l'actualité des derniers mois.

Bruno Caudrillier  (23/3/2025)



The Brutalist

Dès son lancement, « tTe Brutalist », un long-métrage americano-anglo-hongrois fait beaucoup de bruit. Il y a d’abord sa longueur : 215 minutes coupées en leur milieu par un entracte. Depuis les grandes productions type Ben Hur, on n’était plus habitués à cette césure bienvenue. Et puis il y a surtout la qualité de cet opus, qui, selon beaucoup, le place au même rang que « Émilia Perez » parmi les chefs-d’œuvre de cette année.

Le film suit le destin d’un architecte hongrois, Lazlo Toth .  Pour l’incarner , le réalisateur américain Bady Corbet (37 ans) a eu la main heureuse en choisissant Adrien Brody, dont on avait déjà perçu le grand talent dans « le Pianiste » de Polanski, dans le pourtant désastreux « Daaali », dans « Grand Hotel Budapest », ou encore dans maintes productions de Woody Allen. Comme le sujet exclusif du film, c’est la trajectoire de Lazlo, on a le temps d’admirer les mille et une facettes de cet acteur surdoué.

L’histoire, c’est donc celle de cet architecte hongrois, de 1947 à 1960, avec même un court épilogue en 1980. Lazlo, membre du Bauhaus, connait un joli succès dans son pays natal, jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par la démence nazie. Interné à Buchenwald, il survivra. Le film commence en 1947, quand le bateau de ces survivants arrive en vue de la Statue de la Liberté. Dès ces premières images magnifiques, on sait que l’on va assister à une projection peu commune. Lazlo n’a qu’une adresse en débarquant en Amérique : son cousin Attila, marchand de meubles à Philadelphie. Le cousin et sa femme catholique Audrey l’abritent et le font travailler. Attila va apprendre à Lazlo que sa femme Ersesbet (gracile et énergique Felicity Jones) et sa nièce Zsofia, elles aussi raflées, ont survécu à l’enfer  des camps. Elles sont bloquées en Autriche, et Lazlo va se démener pour les faire venir aux USA. Quand Lazlo pourra enfin récupérer son épouse, on aura droit à un beau portrait de femme : Ersesbet, frappée par une ostéoporose dévastatrice, est en fauteuil roulant. Mais, pleine d'énergie, elle est la gardienne de la dignité du couple.

On ne va pas vous raconter la suite, à vous de la découvrir. Sachez seulement que dans son nouveau métier de décorateur, Lazlo va rencontrer un richissime entrepreneur, Harrisson Van Buren (Guy Pearce). Tout au long du film, on va assister aux relations tantôt amicales tantôt conflictuelles entre l’architecte européen et le milliardaire américain égocentrique, brutal et inconséquent (ça ne vous rappellerait pas quelqu’un ?). 

Le film peut prendre le temps de mettre en scène sans lourdeur, de manière souvent allusive, l’envers du rêve américain : toute-puissance de l’argent, vulnérabilité des petits, racisme ouvert envers les Noirs et plus discret envers les Juifs, grande violence dans les rapports humains.

Les acteurs percent l’écran, surtout Brady qui porte le film. Les images sont magnifiques, avec certains cadrages qu’on n’est pas près d’oublier. La musique, très prenante, était un peu forte, mais on s’y est fait.

A sa sortie, le film a été l'objet d'une vive polémique au sein du petit monde d'Hollywood : la production a été accusée d'avoir eu recours à l'IA pour certains dialogues, pour reprendre les répliques des acteurs supposés hongrois pour amplifier leur accent. Le début d'une bagarre annoncée...

Ne ratez pas ce grand film.

PS : Pour les amoureux du septième art : écouter en podcast sur France Culture, « A Voix Nue », une série de cinq émissions de 30 mn avec Nicolas Seydoux parlant de sa vocation tardive d’entrepreneur de cinéma avec Gaumont : passionnant.

Bruno Caudrillier  (20/3/2025)


Musique

Le Boléro à la Philharmonie

C’est sans doute l’œuvre de musique classique la plus connue au monde comme, par exemple, la Petite musique de nuit ou les Quatre saisons.
Que n’a-t-on pas dit à son propos : que toutes les 15 minutes, un chef lève la baguette pour une nouvelle exécution de l’œuvre, qu’à la création, une femme se serait écrié “au fou !” et Ravel de dire : “ celle-là, elle a tout compris “, qu’elle génère des millions de droits d’auteur annuels (ça a été vrai), qu’elle est fondatrice de la musique répétitive américaine…

La présente exposition - assez rare pour une seule œuvre de musique classique, est très complète :  des vidéos d’époque, une interprétation scénarisée, tous les documents relatifs à la danse, à sa passion pour les jouets mécaniques, à l’Espagne, reconstitution de sa maison de Monfort-l’Amaury…

Philharmonie de Paris - Jusqu’au 15 juin. (La Philharmonie de Paris n’étant pas “journaliste ou blogueur frendly”, les membres du syndicat devront s’acquitter de leur ticket)
 
Thierry Vagne (17/01/2025)


 

 

Photo : DR

En première mondiale, l’hologramme d’un virtuose enregistré de son vivant

Philippe Entremont, 85 ans, est un virtuose français qui a donné 7 000 concerts et réalisé 350 enregistrements. Sa carrière internationale lui a permis de jouer et d’enregistrer avec des chefs aussi illustres que Leonard Bernstein ou Eugene Ormandy, puis de se produire de par le monde aussi bien en tant que pianiste que chef d’orchestre. Il vient de réaliser un enregistrement de son hologramme qui permettra de le voir donner un récital comme s’il était physiquement présent. Des spectacles d’hologramme d’artistes disparus existent déjà, avec des artistes de variétés ou Maria Callas par exemple. Mais jamais l’expérience n’a été réalisée en enregistrant directement un artiste de son vivant via ce procédé.
Au programme : la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, la sonate K. 311 de Mozart, la sonate Clair de lune de Beethoven et Pour le piano de Debussy. Ce programme devrait être diffusé dans des salles prestigieuses début 2020. On pourra probablement dans l’avenir visualiser cet hologramme chez soi, avec des lunettes de réalité augmentée.
Lire l’article

Thierry Vagne - 06/12/2019


Cinéma

Killers of the flower moon : un monument à ne rater sous aucun prétexte

Si au cours de vos humanités vous avez lu Tintin en Amérique (1932), Lucky Luke dans « ruée sur l’Oklahoma » (1960) ou « à l’ombre des derricks »(1962), vous ne pouvez ignorer que les méchants cow-boys, dès qu’ils humaient un parfum de pétrole, chassaient les gentils Indiens pour y installer leurs derricks.
La tribu des Osages, dans les années 20, s’en était plutôt mieux tirée,  puisque, le pétrole ayant été trouvé sur leur réserve, ils bénéficiaient d’une partie du revenu de l’exploitation. Et comme ils étaient relativement peu nombreux, cela rendait chacun (et chacune) de ces Peaux-Rouges d’un seul coup très riches. Cela n’échappa à des coureurs de dot, qui épousèrent ces squaws en or massif.
Mais cela fit aussi le malheur de la tribu, car (fait historique) une vague de morts suspectes vint affecter la communauté. Scorsese s’appuie sur ce fait réel pour bâtir un beau et long (3h30) opus. Il a visiblement passé beaucoup de temps à lire des ouvrages ethnologiques, car il sait nous restituer magnifiquement la fin de ce monde amérindien obligé de sauter dans la modernité.
Nous allons donc rencontrer William Hale (=Robert de Niro) un notable local qui se veut bienfaiteur des Indiens , mais qui en sous-main nourrit de noirs desseins. Il embauche son neveu, Ernest Buckart (= Leonardo di Caprio), un peu simplet mais au diapason de la violence de ce monde sans foi ni loi. Là où ça se corse, c’est que le bel Ernest marie une belle Indienne, Molly, qui pour le coup est riche mais aussi pleine de charme. C’est Lily Gladestone, qui perce l’écran. Et Ernest tombe amoureux, on le comprend, de la belle Molly. Ça va faire dérailler le plan du viel oncle, on ne vous dira pas la suite.
Scorsese (80 ans) n’a pas perdu la main. Celui qui nous a fait plonger dans les bas-fonds de New-York, écouter les stars de la pop, s’émerveiller devant le monde de Méliès, signe là un chef d’œuvre. Il a coproduit le film, et y a mis tellement de talent que l’on pourrait penser, vu son âge,  qu’il a voulu nous laisser un testament.
Vous avez compris, précipitez-vous !

PS : le capitaine, dans une vie antérieure, a beaucoup fréquenté les sympathiques cow-boys de Phillips Petroleum, allant les voir à Bartlesville (Oklahoma) . Il peut vous certifier que 50 ans après les faits relatés par le film , il y avait encore d’authentiques Indiens Osages parmi les dirigeants de la Compagnie.

Alix Caudrillier (31/10/2023)

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